Adresse: 76 rue Princess
Période : Après 1950
Le 1er Mars 1977, le Kingston Whig-Standard publia un article annonçant l’ouverture du King’s Hotel, un nouveau bar situé en plein centre-ville sur la rue Princess, où le Toucan se trouve actuellement. Il fut l’un des bars de la classe ouvrière, où les gays et lesbiennes étaient «tolérées ou du moins pas remarqué». La nouvelle propriété et les rénovations l’accompagnant furent annoncées par le Whig comme une grande amélioration. «C’était l’endroit chaud», se souvient Harvey, «c’était le Studio 54 de Kingston.» Le propriétaire Richard Mitchell prévint que le King’s Hotel attirerai «une clientèle très variée». Mais le soir de l’ouverture, il fut évident que la clientèle de Mitchell ne comprenait pas les homosexuels.
Environ 10 membres de l’Association Homophile de Queen’s (AHQ) allèrent au King’s Hotel, ce soir-là, «jeter un coup d’œil à l’endroit et s’en faire une idée.» «Nous voulions vraiment avoir un bar gay, et puisqu’aucun d’entre nous n’était en mesure d’en ouvrir un, nous nous sommes dit, que nous devrions en trouver un où nous serions les bienvenus, qui pourrait devenir comme une sorte de lieu de rencontre gay. Le Plaza n’était pas vraiment comfortable… Alors quand le bar a ouvert sur la rue Princess, nous sommes arrivés tôt pour parler.» se rappelle Dan.
Les membres de l’AHQ dansaient entre couples de même sexe et à chaque signal prédéterminé, changeaient de partenaires. «Je suppose qu’il était évident que nous dansions les uns avec les autres» raconte Dan. «Maintenant, nous ne dansions pas collés-serrés, nous n’avions même pas nos bras autour de l’autre, il n’y avait aucun contact physique, mais il était clair que nous dansions à deux. Euh, hum, je ne sais pas si nous avons même eu le temps de finir la première chanson, quand l’adjoint du gérant est venu vers nous pour nous dire que nous ne pouvions pas faire cela, que ce n’était autorisé.»
Les membres de l’AHQ furent outrés non seulement par le fait qu’on leur ait demandé de partir, mais aussi par le fait que la danse entre deux femmes soit, elle, autorisée. Mitchell commenta dans le Whig : «j’ai souvent vu des filles ensemble, mais ça ne me serait pas venu à l’esprit qu’elles pouvaient être différentes. Mais deux hommes qui dansent collés-serrés était offensant pour moi et tous ceux présents ce soir-là. Je n’ai rien contre ces gens, je me sens désolé pour eux. Mais je suis un homme d’affaires, pas un sociologue.»
L’AHQ prostesta contre les actions de Mitchell au motif qu’elles étaient à la fois anti-gays et sexistes. Les appels téléphoniques passés au King’s Hotel, par la suite, confirmèrent que Mitchell n’avait aucunement l’intention de modifier sa politique, au contraire il décida de l’appliquer également aux femmes. En réaction, les membres de l’AHQ décidèrent d’organiser un piquet de grève. Un samedi après-midi, le 12 Mars, 25 à 30 homosexuels et sympathisants se rassemblèrent, sur le trottoir du King’s Hotel, pour protester contre les actions du propriétaire. Les manifestants brandirent des pancartes où l’on pouvait lire «Le King’s Hotel est sexiste», «Être anti-gay est une maladie», «la discrimination vit ici» et «Gay et fier de l’être». L’action attira près de 130 spectateurs, observant tranquillement de l’autre côté de la rue. Un journaliste du Whig interviewa les manifestants et le lendemain, une photo de la protestation apparut en première page du journal.
Au début de la protestation, lorsqu’il y avait peu de participants, les manifestants trouvèrent effrayant le fait de se sentir bien en vue. En effet, le Whig cita le commentaire d’une jeune adolescente de 14 ans : «je ne peux pas croire que des gens protestent sur la rue princess et admettent qu’ils sont gays». De plus, tous les membres de l’AHQ n’étaient pas en faveur d’une manifestation, de laquelle ils attirèrent plus de regards négatifs qu’un encouragement de leurs efforts à vouloir créer un environnement favorable pour les homosexuels. Selon Harvey, l’AHQ ressentait toujours les répercussions de la grève, des années après. Plusieurs personnes appelèrent la «ligne téléphonique d’écoute Gay» (Gay Rap Line) pour exprimer leur peur d’être sur la première page du journal, s’ils rejoignaient l’AHQ.
Malheureusement, la manifestation au King’s Hotel n’eut pas l’effet escompté, à part le fait que Mitchell, le propriétaire, déclara que «s’il est capable de les reconnaître», il ne servirait plus les membres de la AHQ. Bien que rien n’ait changé dans la politique du King’s Hotel, le fait que trente personnes ait, ouvertement et sans honte, manifesté pour les droits des homosexuels, dans la rue la plus animée de Kingston, fut un formidable accomplissement.
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